L’ogre de Maléaléa

LESOTHO

Maléaléa : un camp de week-end du Lesotho isolé au fond –au haut !- des montagnes du centre du pays, à 2 000 m. d’altitude !

Si vous êtes arrivés là par la route « normale », cela signifie des kilomètres de bonne route. Entendez par-là  une route goudronnée minée de trous comme une plage du débarquement. « Potholes » disent les panneaux routiers. Traduction littérale de votre serviteur : « trous de marmites ». La réalité serait plutôt trous de chaudrons, voire cratères… Lesquels d’ailleurs sont judicieusement disposés en quinconce ce qui oblige votre ridicule petite voiture citadine

A) à tomber dans un trou moindre pour éviter un plus gros

B) à se faire frôler par les énormes 4X4 qui bondissent à grande vitesse par-dessus lesdits trous !

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« Potholes »!

Remarquez que même par cette route il faudra finir par 7 km de piste à sueurs froides : précipices, ornières boueuses, rochers affleurant donc peur de la casse mécanique. Sans oublier la cocasse éventualité de rester en équilibre, les 4 roues dans le vide, sur l’une des innombrables barres de boue séchée qui jalonnent cette piste de terre non battue ! (Ne riez pas ou je vous y envoie !)

Bref, de toute façon, induit en erreur par une carte routière sournoise, vous avez pris la piste de beaucoup plus loin, et c’est 55 km en 6 heures de ce rodéo (rallye est l’équivalent de « promenade » dans ce pays) que vous venez de surmonter avant la terre promise…

Mais bon, il y a de la place dans le camp et le dîner dans la grande salle collective sera servi à 19h30 pétantes ! Quand on s’installe, nous sommes seuls à notre table de 4. Surviennent 2 autres convives…

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L’ogre et sa secrétaire!

Une jeune fille Basotho et son patron… époustouflant ! Est-ce la fatigue de la route, je superpose immédiatement au personnage réel qui se plante en face de nous, l’image de l’ogre de mon livre du « Petit Poucet ». Au bas mot 200 kg logés dans 1.90m. de haut… Un anneau de graisse ventrale qui se meut avec un temps de retard sur les gestes de son propriétaire… Une voix de basse comme venue des tréfonds de ce vaste volume… Un Barry White Basotho « super size me », avec la voix de Marvin Gaye !!! Bien qu’il s’installe avec soin au centre de sa chaise avec infiniment de précautions, de test de solidité et à presqu’un mètre de la table, sa masse impressionne.

Ce qui suit, pour la commodité de chacun, sera traduit de l’anglais mâtiné de langue Sesotho (on est très forts en Sesotho, on sait dire « bonjour » et « merci « !) et le personnage sera appelé Rehebohile, un prénom courant, pour l’anonymat.

–          Je suis un businessman basotho (Je sais, il faudrait dire « homme d’affaires » mais me chipotez pas ma traduction ou je vous laisse en plan avec le Sesotho, vous allez moins crâner !).

–          Nous on est profs…, français…

–          Je vends de l’eau. L’eau du Lesotho est la meilleure du monde, la plus pure !

–          … ?

–          Est-ce que vous voulez acheter de l’eau du Lesotho ?

–          Euh, là, tout de suite, pas vraiment… (On se dandine un peu sur notre chaise, comme si on avait répondu de travers).

–          Je conditionne en 0,5 l., 1 l., 1,5 l. et 2 l. Le transport ne coûte pas cher !

–          Ben… on peut peut-être chercher des gens intéressés à notre retour… (Là on n’est pas loin du mensonge !)

A ce moment, il prend un air de conspirateur et s’approche (un peu…) de la table. On a un réflexe de recul, d’autant qu’il n’a pas lâché sa fourchette et son couteau.

–          Ecoutez, si vous me trouvez un contrat en France ou en Europe, je fais inscrire votre nom sur l’étiquette des bouteilles !

On ouvre des yeux ronds et on reste un peu ébahis.

–          Et puis, vous savez, la prochaine fois que vous viendrez,  je vous inviterai chez le roi ! Mon père est le frère aîné du père du roi. Le roi ne fait rien sans le consulter. Je vous le ferai rencontrer et vous pourrez même prendre une photo avec lui ! Je vous logerai dans une des dépendances du palais, du côté des maisons de ses 13 femmes. On fera aussi un tour en hélicoptère au-dessus de Maseru (la capitale). Vous avez quoi comme voiture ?

–          On a loué une petite citadine…

–          Ah, ah, ah : c’est nul ici (ça, on avait remarqué tout seuls…). Je vous fournirai un 4X4, j’en ai plusieurs !

Stop ! N’en jetez plus ! On est carrément sidérés bien que sceptiques… Il reprend :

–          Vous comprenez, je ne peux pas faire ce que je veux avec les diamants, les sociétés anglaises en sont propriétaires ; mais avec l’eau, je peux vendre et faire des affaires… Vous êtes encore là demain soir ?, ajoute-t-il en enfournant son dessert en une seule bouchée. Alors nous conviendrons de quelque chose, chuchote-t-il dans un vibrato de basses.

–          Mais pourquoi voulez-vous vendre de l’eau en France en particulier ?

Après un haussement de sourcils qui exprime une grande surprise, il ouvre largement les bras en signe d’évidence :

–          Mais parce qu’on m’a dit qu’en France vous n’avez pour boire que vos urines recyclées !!!

Le lendemain le personnage ne sera plus dans le camp, pas plus que sa menue et discrète secrétaire. Bien que nous ayons un N° de téléphone, je crois que c’est foutu pour le roi, les concubines, l’hélico et tout le reste ! Y a qu’à nous que ça arrive une malchance pareille !

Article publié dans Bouts du monde N°20 :

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